Sexe, désert et animaux.

     Ce texte est très ancien,  je me souviens que lors de cette séance, la thématique était le rapport aux bêtes, la description d'une posture animale.  
Ne pouvait alors que réapparaître cette rencontre nord-africaine qui allait changer le cours de ma vie et l'orienter en direction de l'Italie. Il n'est pas difficile de comprendre que j'aie quelque peu érotisé la posture de cette singulière race animale généralement peu attachante.                         





Tunisie. Aux confins du sud : Nefta, entre le Chott-El djerid et la Corbeille, c’est comme ça qu’ils appelaient la palmeraie je crois.

Je voulais descendre encore plus bas, j’avais vingt ans et j’étais à pied, au pied du désert. Il m’a donné « un passaggio » dans sa jeep,  «  prego signorina ! » en fait une Waz un peu datée, matériel russe, il était un des fils de l’Italie de Berlinguer. Nous chantions « bella ciao » sur la tôle ondulée des pistes poussiéreuses.
Je l’ai suivi toute une semaine. Devant nous, les bédoins, qui nous guidaient là où abondaient les vipères à cornes . Comme mon esprit commençait à être absorbé ailleurs, c’est sans état d’âme que j’observais leur capture : le geste rapide pour immobiliser la tête à l’aide d’un bâton fourchu et puis un second bâton glissé sous leur ventre : elles sifflaient, gonflaient, crachaient pour se donner des airs. En réalité, toutes affairées à leur tangage sur cet instrument ridicule, elles ne tentaient que de ne pas perdre la face. Puis on les faisait disparaître dans le sac de toile et voilà…c’était comme s’il n’y avait plus de bête. Quelques instant plus tard une autre la rejoignait, venant partager son désarroi silencieux.

Le soir dans le Marhala, nous faisions l’amour et… j’apprenais l’italien. A terre, les sac de toile blanche amoncelés. Blessées dans la capture parfois indélicate, quelques malheureuses n’avaient pas survécu. C’est donc dans une odeur pestilentielle de charogne en décomposition - que quelques rasades d’eau de cologne à deux Dinars ne parvenait à dissiper, et par 40 degrés à l’ombre amalgamant le tout - que je suis tombée raide dingue amoureuse.

A la fin de la semaine, on a chargé les sacs dans des caisses, les caisses dans la Waz, la waz dans le bateau, et moi sur le pont… un petit nuage dans la tête  en forme de botte, avec au centre : la toscane.

Là-bas plus tard, j’appris à manipuler d’autres espèces non venimeuses importées d’ailleurs, échangées contre une partie du stock de vipères : boas, pythons, anacondas…  Le plaisir de leurs corps lisses, tièdes, propres sans odeur, leur langue frémissante me chatouillant derrière l’oreille, tandis que je tenais sagement à distance autres mambas et cobras de mes attouchements.

 Viarreggio : Festa dell’unità, bella ciao, toujours, dans les haut parleurs.

Le soir, dans le grand gymnase faisant office de salle d’exposition, une fois le public évaporé, le silence s’installait parmi les cages illuminées: les serpents ne bougent presque jamais. Nous ammassions quelques tapis de sols au centre pour la nuit et leur offrions à notre tour notre petit spectacle gymnique nocturne. Spectateurs discrets et quelque peu désabusés derrière leur loge vitrée.

Seul le python émeraude, la tête posée au centre de ses circonvolutions, semblait nous fixer avec attention. C’est d’ailleurs le seul auquel je me suis un peu attachée, non pas pour son statut de voyeur, mais parce qu’il était franchement bêta : il s’obstinait à s’enrouler autour de l’ampoule qui lui dispensait la chaleur tant appréciée ; régulièrement celle ci se dévissait, il recevait alors une décharge électrique et tombait légèrement assommé. Le bruit de sa chute sur le sol de bois de la cage me réveillait parfois en pleine nuit. Nous n’y prenions plus garde et nous revissions l’ampoule au matin. Aucun serpent ne parvient à susciter véritablement d’affect .

En revanche une chose m’animait par-dessus tout : l’acte nourricier.

Il me plaisait de croire que ce n’était qu’à cause de la sensualité morbide contenue dans ces orgies muettes que la société protectrice des animaux nous interdisait de donner à voir ce spectacle au public. Prise d’excitation, fascinée, je n’en manquais pas un, pour aucun d’entre eux.

La souris, une fois jetée dans la cage, se blottissait dans un coin, frémissante, immobile, consciente et presque consentante de ce qui allait suivre : l’étreinte autoritaire qui allait faire cesser ses tremblements.  Elle en sentait déjà les préliminaires dans le jeu de langue fourchue qui s’approchait inexorablement.

Tout à coup une secousse, un éclair, un déploiement instantané, dont on n’avait rien eu le temps de comprendre, et déjà elle était prise, emmaillotée aussi fougueusement que tendrement dans l’étau sinusoïdal.  Seule dépassait sa tête, au centre, bouche bée. Si l’on pouvait facilement comprendre que c’était la pression qui la suffoquait, la tendre petite bête baillait de manière si lascive que j’y lisais un baiser ouvert et offert, un soulagement, un abandon, un remerciement silencieux, pour avoir mis fin à cette attente angoissante.

Lui, la maintenait ainsi un long moment, fermement enveloppée comme pour la protéger.  Lentement il desserrait son emprise puis, lui rendant son modeste baiser, il commençait à l’engloutir de sa large mâchoire désarticulée. Tandis que des spasmes lents le parcouraient, elle, se laissait docilement rentrer dans ce gouffre rose et moelleux. Le renflement de son corps qu’on devinait parfaitement le long du cylindre, ondulait, descendait, au rythme des régulières cambrures, descendait encore, épousait un ultime mouvement de tendresse jusqu’à ce qu’enfin le long membre repu se détende, puis royalement s’immobilise et s’endorme à l’ombre d’un branchage sec, sous le soleil de l’ampoule à 25 watts.

Suivait alors un long post-coïtum de trois ou quatre semaines, voire plus…  Il faut dire que les serpents n’ont pas une libido acharnée.