Mescaline à la plage

De ce texte très ancien, je ne me souviens plus la consigne précise. En tout cas la thématique était la mer.

Je m'étais fixée comme objectif la distorsion.

D'une image, peut-être une réminiscence extirpée par la vue d'un même lieu. Distorsion des sens, distorsion du décor qui fait office de corps amnésique. 
La distorsion du temps donc. Alors  j'ai conjugué ensemble  ceux du présent et du passé pour la traduire au plus près de la sensation.


 
Au fond du verre de mescal,  c’est là que ma gorge avait fait escale. Je regarde la mer, c’est la même.  Elle enfle,  rien n’est effacé. J’aspire le passage de la brise qui se lève. Elle vient du large, elle a encore l’haleine fraîche. La bouche entrouverte j’attends que les vagues se soulèvent pour leur donner à lécher la brûlure dans ma gorge encore  imprégnée. Elles déferlent. Ce sont les mêmes. Je les reconnais.

                                        
Alors le corps d'une fille, défaite, se lève aussi. 
Je crois bien qu’elle s’était endormie dans ses larmes, et c’est la marée qui monte sur elle maintenant. C’est pour ça qu’elle s’est dressée. Cette fois il le fallait bien.
Elle voit toute cette eau, bombée, plombée.
Au début le ciel s’était chargé de cendre, la plage ressemblait bien à d’autres plages mais avec plus d’eau que d’habitude. Disons que la mer était plus courbe, hypertrophiée, comme les chairs tuméfiées de ma gorge qui à présent laissent à peine passer le souffle, avec ce ciel énorme qui faisait poids dessus. Les sacs de nuages étaient à la limite de la surcharge, de l’eau brûlante certainement.

Une dilatation totale.

Et puis très vite leur cendre s’était embrasée. Ils avaient commencé par se rouler les uns sur les autres, se contractaient puis s’empoignaient jusqu’à faire corps avec la forme de l’autre, la couleur de l’autre, se laissaient glisser, parfois à plusieurs, sous la fureur de l’un d’entre eux plus sombre qui les étreignait, et puis ils en avalait un et puis un autre et encore un autre... Et au large la houle buvait jusqu’à plus soif, elle trinquait avec eux, au milieu d’eux, en dessous d’eux, au large et puis à l’étroit, toujours plus à l’étroit. 
J‘ai le souffle coupé à présent.
la houle éructait ses crêtes écumantes, tant et si bien que là-haut, ils se sont employés à faire rentrer à l’intérieur ses langues haletantes qui se dressaient pour se défendre. A l’intérieur, la houle je ne la sentais même plus.

La fille, elle est debout maintenant, elle recule, elle cherche un repère où il n’y a pas d’eau, un élément terrestre qui ne tangue pas, mais derrière elle - et derrière c’était tout petit - tout ce qui avait racine était en transe : les pins, les tamaris, les chênes liège se tordaient, quelques vieux palmiers dévertébrés s’arcqueboutaient et faisaient fouetter leur chevelure à terre, à gauche, à droite, en arrière. Ils dansaient, ils hurlaient, ils riaient aussi à coups de hanches déployées.
Un peu plus loin derrière, la lande est toujours plaquée au sol, couleur d’hématome. Seuls quelques îlôts de maquis se débattent encore, secoués de spasmes à moitié évanouis qui frappent encore dans ma poitrine.

A la fin la fille s’était mise à tanguer, à ondoyer, à pivoter, à s’enrouler, à hurler, il semblait qu’elle riait aussi, à gorge étouffée, et puis là, maintenant elle s’affaisse. Elle se love, elle devient molle, sans aspérités, ronde, tiède, fluide, comme une gorgée. 
Je ne peux plus la protéger.

Ils ont rempli le verre encore je crois, et puis ma gorge aussi, et puis ils ont recommencé, tous, les uns après les autres ils ont continué. Mais ce n’est plus la mienne, et moi je ne suis plus complètement là.

Son empreinte étendue, inerte, visible sur le sable juste devant la marée montante.  
Je m’approche. Dans les yeux de la fille restés ouverts sur ma mémoire vacillante, je regarde le tableau gravé : c’est une marine, tourmentée, avec un corps qui sombre.