La voyeuse

Sur la même consigne de Noëlle Revaz de la phrase unique,  le texte ci-dessous a été écrit avec l'arrière pensée que ce texte serait lu, puisqu'il était prévu une lecture de notre travail. 

Je me suis  alors attachée à rendre des rythmes, accélération-deccélération, et des sonorités pour scander ce texte, un perspective de mise en voix au delà de la simple écriture... En effet le jeu théâtral donne plus de relief à ce pur exercice de style...



Ca y'est, ça commence dès qu'il est attrapé et qu'aussitôt des jets stridents, aigus, grailleux explosent dans la gorge du volatile, poussent dans le goulet trop étroit pour laisser s'échapper la terreur, la résistance imbécile, dilatent le gosier, tétanisent la glotte, obstruent le gésier,  raclent, claquent, braillent dans le goulet trop étroit que mémé va calmer avec son drôle ciseau qu'elle vient de sortir de la poche de son tablier et qu'elle fait glisser du fourreau pour lui faire cette drôle de chose qu'elle va vraiment lui faire, que je vais regarder même si je n'aime pas regarder mais,  que je ne peux m'empêcher de regarder parce que ça me fait tout drôle de sentir l'air secoué sous les ailes qui battent, qui balancent de grands coups de fouet tellement violents que ça fait crever des poches d'air qui se dégonflent, qui soufflent jusque dans ma figure comme l'air des ballons de baudruche du marchand de chaussure, sauf que l'odeur elle est crachée toute tiède, et que c'est comme si elle expulsait des drôles de choses mouillées, des choses cachées sous les grandes plumes du dessus, celles qui sont graisseuses, celles qui ne laissent jamais passer le vent à l'intérieur,  là où ça macère, là où ça renferme toutes ces choses qui grouillent, qui suintent le moite, le gras de la peau transpirant la peur sous le duvet épais,  le duvet tout chaud, si doux, jaune, moelleux comme de la purée mousseline,  le duvet qui lui est resté de quand il était poussin sous la lampe de la couveuse, blotti contre les autres poussins, jaunes,  que parfois j'attrapais quand mémé avait le dos tourné pour les tenir blottis dans le creux de mes mains, les approcher de ma figure pour respirer ce chaud sucré qu'ils ont toujours les tout petits, qui sent si bon la vanille douceâtre,  et qui leur reste après, et qui pourrit sous les plumes grasses qui couvent la mort, et qu'ils chassent à grands coups d'ailes quand mémé approche avec son drôle de ciseau qu'elle va enfoncer dans leur bec pour leur couper quelque chose qu'ils ont au fond de la gorge pour qu'enfin    le silence blanc s'installe, tranquillement, le silence blanc qui coule en rouge dans la bassine,  à coté de l'autre bassine,  celle qui fume, qui attend juste après, quand mémé ébouillantera les plumes pour dilater les cratères des plus grosses, surtout celles des ailes qui sont les plus dures à arracher elle m'a expliqué mémé,  les ailes qui se froissent, se convulsent, se débattent, battent  battent la cadence du grand silence blanc, les ailes qui disent non,    puis qui disent oui, tout doucement se balancent, dansent, se soulèvent encore pour que le chaud du corps qui reste encore s'évapore, juste pour ça, des soubresauts plus lents, gracieux, qui s'abandonnent dans un mouvement qui s'apaise, joli, si joli le mouvement parce que sans les cris c'est plus joli et que c'est sûr qu'il n'a pas mal puisqu'on n'entend plus rien, rien que le silence rouge qui coule, la confiance qui s'installe jusque dans les pattes qui ne disent plus non dans le creux ferme et rugueux des mains calleuses de mémé, les pattes qui disent oui, qui se détendent, s'étirent, s'allongent, se raidissent, s'immobilisent, jusqu'à ce que le silence ne coule plus du tout et que je me retourne, parce que c'est terminé.